31 octobre 2013 Minuit Baden-Baden 31 October 2013 midnight

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La conclusion de l’histoire ?

J’avais encore beaucoup de questions à lui poser. Et de surcroît, il n’avait pas terminé d’étaler sa collection de photographies.

« Vous voulez connaître la fin, bien sûr ? »

J’ai eu envie de lui répondre : « J’espère que sa vie se termine mal et qu’elle subit la vengeance de Dieu ». Mais je me suis bien sûr abstenu, d’autant plus que je n’en pensais pas un mot.

« Bien sûr, recommencer, signifiait pour elle de toucher le fond et Cora a dû recourir au travail dans la rue. Tout s’est amélioré quand elle a fait la connaissance de Monsieur Roubisse, un proxénète de premier ordre. Il a compris son potentiel et a passé un certain temps à la préparer pour l’entrée dans la haute société. En 1860 elle a fait « son début dans le monde » avec un succès instantané. À l’époque, la France était un empire – le Deuxième Empire français, gouverné par Napoleon III. »

Un début prometteur, mais rien n’était achevé, en particulier son entrée dans le très grand monde, en côtoyant cependant le demi-monde et en bénéficiant d’une situation financière enviable !

« La première conquête majeure de Cora a été Francois Victor Massena, le Duc de Rivoli, le Prince d’Essling, un enthousiaste de d’ornithologie. Il a été enchanté par Cora, la couvrant de cadeaux et d’argent, payant pour son personnel et achetant son premier cheval. Cora s’est mise en selle  » comme une Amazone « , comme le note un de ses admirateurs. Son talent de cavalière l’a considérablement aidée pour sortir de la foule et lui a ouvert une avenue pour attirer un grand nombre d’amants supplémentaires incluant le Prince Guillaume d’Orange, l’héritier du trône des Pays-Bas (connu à Paris comme  » le Prince de Citron  » en raison de son exilé volontaire dû au fait que ses parents ne le laissèrent pas épouser la femme qu’il avait choisie. Francois ne semble pas avoir été un amant jaloux et a été aussi enclin à pourvoir d’argent les visites de Cora aux maisons de jeu de Paris – une habitude dans laquelle elle avait sans aucun doute acquis à Argyll Room. »

Je n’avais pu m’empêcher de rire devant cette accumulation – que je soupçonnais bien entendu, mais qu’il me faisait toucher du doigt, dans une sorte de réalité photographique où je m’imaginais très vite que les beaux costumes allaient s’animer et nous rejoindre, comme si nous étions nous-mêmes une compagnie princière.

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Orphée aux enfers

« On raconte beaucoup d’histoires sur les exploits de Cora dans la haute société pendant les années 1860 (incluant une histoire tristement célèbre où elle aurait servi nue sur un plateau d’argent), quoiqu’il soit difficile de séparer la vérité de la fiction. Il est par contre certain qu’elle est apparue sur scène en Cupidon dans une production d’Orphée aux enfers de Jacques Offenbach … »

Il s’interrompit, comme pour reprendre son souffle avant d’atteindre le climax de son histoire et d’évoquer, comme si c’était une évidence, les aspects économiques de l’aventure :

2 prince_jerome« … En 1868 elle a a décroché son amant « à long terme » le plus notable – Napoléon Joseph Charles Paul Bonaparte, d’habitude connu comme le Prince Jérôme Napoléon, le cousin et un proche conseiller de l’Empereur. En fait, une soirée en sa compagnie pouvait coûter près de dix mille francs – environ 200,000 £. Sa collection de bijoux a été estimée à un million de francs, sans parler de ses chevaux, maisons et des robes. (On rapporte qu’elle avait reçu une facture de lingerie pour 18,000 £.) »

 

 

 

Jérôme Bonaparte

J’attendais toujours la punition finale. Elle vint avec évidence, mais par étape, en suivant les déconvenues historiques du Second Empire. Perte des colonies, conflit de 1870, exil de la famille Bonaparte à Londres, exclusion de la belle et retour dans la capitale française redevenue républicaine, en passant par la case sanglante de la « Commune ». Un tout autre environnement que celui des années 60.

Il voulait en finir.

« Cora a été forcée de se rendre compte que la fête était terminée. La fin a été accélérée par le manque total de la part de Cora de quelque perspicacité financière que ce soit. Si elle avait liquidé sa fortune et l’avait investie, elle aurait pu conserver une situation confortable, mais elle voulait se séparer de ses maisons, bijoux et des chevaux et les a vendus peu à peu jusqu’à ce qu’elle n’ait plus rien. Avant 1880 elle avait juste de quoi survivre et en 1883 elle est retournée à la prostitution directe pour se maintenir à flots, louant un appartement à Paris où elle a reçu des clients de la classe moyenne, bien loin de ses jours de gloire. »

Autrement dit, la morale est sauve ?

« Vous serez récompensé de votre patience : voilà la fin. Un de ses vieux amis l’a rencontrée en 1885 à l’extérieur d’un casino à Monte-Carlo, « pleurant pitoyablement, gardant cependant une certaine prestance, mais très débraillé ». Cette année-là, elle a vendu sa dernière maison et s’est déplacée dans une pension. Dans une vaine tentative de rétablir sa fortune, elle a écrit ses mémoires, mais en raison de sa discrétion (ou de la pression exercée sur elle) le dernier coup de dés de Cora a manqué son but – les noms ont été cachés et les détails étaient absents, entraînant des ventes réduites, la maintenant dans l’obscurité. Ceci dit, même si ses mémoires avaient rencontré le succès, ils n’auraient pas pu la sauver. Elle souffrait déjà du cancer intestinal et le 8 juillet 1886 la maladie a mis fin à sa vie. Ses obsèques ont été solitaires, mais un de ses anciens amants a anonymement couvert les frais pour s’assurer qu’on lui montrerait le respect qu’elle avait cependant mérité. Elle a été enterrée dans le Cimetière des Batignolles, dans son Paris bien-aimé, sous le nom qu’elle avait abandonné, Emma Eliza Crouch. Sa mort a été rapportée dans des journaux du monde entier, un dernier rappel d’un monde scintillant maintenant parti pour toujours. »

Au fond, je n’étais pas si satisfait que cela. Le récit avait été cette fois si long que la nuit était très avancée. Mais je devrai rester encore quelques jours pour enfin entendre le récit de la « Dame aux Camélias »…

 

2 cora_wistfulThe end of the story? I had more questions to ask. And besides, he had not ended to display his collection of photos.

« You want to know the end, of course? »

I wanted to answer: « I hope that her life ends badly and that it undergoes God’s vengeance« . But, of course I didn’t.

Of course, starting over meant once again starting at the bottom, and initially Cora had to resort to working the street. Things improved when she made the acquaintance of Monsieur Roubisse, a high-class procurer. He saw her potential, and spent some time grooming her for entry to high society. In 1860 she made her “debut” and was an instant success. At the time France was an empire – the Second French Empire, ruled by Napoleon III.”

A promising beginning, but nothing was finished, in particular its entrance in the high society, by however living close to middle class areas and by benefiting from an enviable financial situation!

Cora’s first major conquest was Francois Victor Massena, Duke of Rivoli, Prince of Essling, and noted ornithology enthusiast. He was in love of Cora, showering her with gifts and money, paying for her staff and buying her first horse. Cora took to the saddle “like an Amazon”, as one admirer noted. Her skill at riding helped her to stand out from the crowd and gave her an avenue to attract a large number of additional lovers including Prince William of Orange, heir to the throne of the Netherlands (known in Paris as “the Lemon Prince” for his voluntary self-exile when his parents would not let him marry the girl he chose). Francois does not seem to have been a jealous lover and was also willing to bankroll Cora’s visits to the gambling dens of Paris – a habit she had doubtless acquired in the Argyll rooms.”

I did not have been able to stop laughing in front of this accumulation that I naturally guessed, but that he made me touch in a kind of photographic reality where I imagined quickly that the beautiful suits were going to liven up and to join us, as if we were ourselves a princely company.

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There are many stories of Cora’s exploits in high society during the 1860s (including one notorious tale where she had herself served naked on a silver platter), though it’s hard to separate fact from fiction. It’s well attested that she appeared on stage as Cupid in a production of Orphée aux enfers by Jacques Offenbach…”

 

 

Orphée aux enfers

 

He remained silent for a while, as to get his breath back before reaching the climax of the story and of evoking, as if it was an obvious fact, the economic aspects of the adventure:

“…In 1868 she snagged her most notable long-term lover – Napoléon Joseph Charles Paul Bonaparte, usually known as Prince Jerome Napoleon, cousin and close adviser of the Emperor. As a matter of fact, an evening in the company of Madame Pearl could cost up to ten thousand francs – about £200,000.) Her jewellery collection was valued at a million francs, not to mention her horses, houses and dresses. (She is reported have once received a lingerie bill for £18,000.)”

I still waited for the final punishment. It came as an obvious fact, but step by step, as a follow up of the troubls of the Second Empire. Loss of colonies, conflict of year 1870, exile of the Bonaparte family in London, exclusion from the beautiful lady and then back in the French capital now politically republican, via the bloody episode of the « Commune« . Quite a different environment than that of the 60s.

He wanted coming now to an end.

“Cora was forced to realise that the party was over. The end was accelerated by Cora’s complete lack of any financial acumen. Had she liquidated her fortune and invested it she might have been somewhat comfortable, but she was unwilling to part with her houses, jewels and horses, and so sold them all piecemeal until she was left with nothing. By 1880 she had just one house remaining, and in 1883 she returned to straight-forward prostitution to maintain herself, renting a flat in Paris where she took middle-class clients, a far remove from her glory days.”

In other words, the morality is safe?

You will be rewarded for your patience: this is the end: One of her old friends met her in 1885 sitting outside a casino in Monte Carlo, “weeping pitifully, handsome but much bedraggled”. That year she sold her last remaining house and moved into a boarding house. In an attempt to restore her income she wrote her memoirs, but discretion (or discreet pressure) undercut Cora’s last throw of the dice – names were obscured, and details were absent, dooming the book to poor sales and obscurity. Unknown to Cora, however, even if her memoirs had been a success they could not have saved her. She was already suffering from intestinal cancer, and on July 8th 1886 the disease claimed her life. Her funeral was sparsely attended, but one of her former lovers anonymously covered the costs to ensure that she would be shown the respect she deserved. She was buried in Batignolles Cemetery in her beloved Paris, under the name she had abandoned, Emma Eliza Crouch. Her death was reported in newspapers around the globe, a last reminder of a more glittering world now gone forever.”

At the end, I was not really satisfied. The narrative had been this time so long that the night was almost over.

But I shall have to stay still a few days in Baden-Baden to hear finally the narrative of the « Lady of the Camellias » …

30 octobre 2013 Minuit Baden-Baden 30 October 2013 midnight

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Comme s’il devait attendre la solennité d’un samedi soir, où l’hôtel s’est rempli à la fois de la bourgeoisie locale la plus compassée et de touristes d’arrière saison venus de l’Alsace voisine, j’ai encore dû attendre deux jours pour que l’on puisse aborder la vie de l’une des deux belles dont il avait promis de me montrer les photographies.

Cora Perarl…rien que le nom, que je ne connaissais pas avant de venir en Allemagne, était propre à m’intriguer !

 

De quel coffre à bijoux était-elle donc sortie, sinon de la petite boîte rempli de clichés détenus secrètement par Groddeck ?

« Il s’agit, malgré son nom, d’une française d’adoption. »

Devant mon air un peu interloqué, il s’empressa d’ajouter cyniquement : « La galanterie française, cher monsieur, quoi d’autre ? ».

« Ecoutez bien :

Une des femmes les plus infâmes de l’empire de Napoléon III est née Emma Crouch à Plymouth, en Angleterre. Elle est probablement née en 1835 quoiqu’elle ait prétendu plus tard être née en 1842, supprimant ainsi sept ans de sa vie. Son père, Frederick Crouch était un violoncelliste qui a aussi composé des chansons. Il a abandonné sa famille en 1847 et s’est enfui aux États-Unis.

Son récit commençait un peu par la biographie d’une modern Cendrillon.

« Frederick s’est remarié et a eu plusieurs autres enfants. Sa femme abandonnée, en attendant, a dit à ses enfants (incluant Emma) que leur père était mort et l’a rapidement remplacé par un riche amant. C’est la réalité de l’entrée d’Emma dans le monde d’adultes qui ont vécu leurs vies sans elle. Emma a été envoyée dans un couvent de Bourgogne, où elle a été éduquée, entre autres, aux bons usages de la société et à la langue française. Cela n’est certainement pas le seul enseignement qu’elle ait reçu. De plus on trouve des témoignages affirmant qu’elle avait eu plusieurs aventures avec des femmes lorsqu’elle était étudiante. »

De mieux en mieux…de quoi me réveiller définitivement, malgré l’heure tardive !

Il ne restait heureusement que quelques noctambules dans le fumoir de l’hôtel, mais un monsieur d’un certain âge a failli renverser son verre de cognac quand Groddeck a prononcé à dessein à voix haute « prostitution ». Il redressa la tête, pensant peut-être capter une bonne adresse. Heureusement le reste du portrait a été dressé à voix basse.

« Elle a quitté la maison de sa grand-mère et a loué une pièce à Covent Garden, où elle a été appréciée par une série de clients masculins. Elle a ensuite rencontré Robert Bignell, un individu extérieurement respectable (il était membre du conseil local de Brentford) et dont la profession officielle était le négoce des vins. Ce qui est la meilleure image de l’individu puisque la construction, au-dessus de son bar à vins, des Pièces d’Argyll a inauguré un tout autre chapitre. C’était avant que les boîtes de nuit ne soient devenues une partie de la culture officielle, mais les Pièces d’Argyll pourraient se féliciter d’être une de leurs toutes premières incarnation (mais avec le jeu plutôt qu’avec la musique, comme principale distraction). »

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Il me tardait néanmoins que l’on finisse par arriver en France, puis en Allemagne.

« Ayant géré au mieux sa situation de maîtresse officielle de Bignell avec talent, elle savait qu’elle pourrait en faire un vrai métier, quoiqu’elle sache aussi que son activité serait plus difficile à Londres. Le vrai changement est intervenu quand Bignell l’a emmenée en vacances à Paris. Elle parlait le français couramment et elle est tombée amoureuse de la ville. Quand il est retourné en Angleterre, elle est restée sur place – mais pas sous le nom d’Emma Crouch. Au lieu de cela elle s’est rebaptisée Cora Pearl. »

Il s’attendait peut-être à ce que je m’exclame : « Ah, Paris » ! Mais, même si j’en avais eu l’intention, il était déjà trop tard. Il avait disparu, comme le carrosse de Cendrillon.

Je devais attendre le lendemain pour connaître la fin de l’histoire.

 

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As if he had to wait for the solemnity of a Saturday evening, when the hotel was filled at the same time with the stiffest local bourgeoisie and with the tourists of back season coming from nearby Alsace, I had to wait two days more that we can approach the life of one of the two “beautiful ladies” of whom he had promised to show me photos.

 

Cora Perarl … only the name, I did not know her before coming to Germany, was appropriate to intrigue me! Of which jewelry box she had gone out, otherwise of the small safe filled with clichés held secretly by Groddeck?

 

« In spite of her name, she is French by adoption. »

Looking at my astonishment, he hurried up to add cynically: « The French gallantry, dear sir, what else?« .

 » Listen to, please:

One of the most infamous woman in the empire of Napoleon III, was born plain Emma Crouch in Plymouth, England. She was probably born in 1835 though she would claim later to have been born in 1842, shaving seven years off her age. Her father was Frederick Crouch, a cellist who also composed songs. He abandoned the family in 1847 and fled to the United States.

His narrative began slowly with the biography of a modern Cinderella.

Frederick remarried (bigamously) and had several more children. His abandoned wife, meanwhile, told her children (including Emma) that their father had died, and promptly replaced him with a rich lover. This was Emma’s introduction to how grown-ups lived their lives. Emma was packed off to a convent in Burgundy, where she was taught, among other things, etiquette and French. That may not have been the only education she received, however – there are stories that she had several lesbian affairs while she was a student.”

Better and better! Perfect story able to wake me definitively, in spite of the late hour!

“When she returned to England, she went to London to live with her grandmother. She got a job as a milliner’s assistant, selling hats. However, like so many young girls who came from the country to London, in 1855 she got drawn into the city’s massive prostitution industry. It’s claimed that this was the result of Cora being talked into visiting a bar with a man, drinking until she passed out, and then walking in a hotel bed with her virginity taken and £5 (around £250 in modern money) sitting on the nightstand.” 

There were fortunately only some night birds in the smoking room of the hotel, but a gentleman of a certain age, almost knocked down his glass of cognac when Groddeck pronounced on purpose in a loud voice « prostitution », thinking maybe of getting a good address. Fortunately, the rest of the portrait was told at a lower voice.

“She moved out of her grandmother’s house and rented a room in Covent Garden, where she entertained a series of gentleman callers. And then she met Robert Bignell. Bignell was an outwardly respectable gentleman (he was a member of the Brentford local council) who gave his profession as a wine merchant. What he is best remembered for, however, is the business he ran out of the building above his winecellar – the Argyll Rooms. This was before nightclubs became a part of culture, but the Argyll Rooms could make a claim to be one of their earliest incarnations (though with gambling rather than music as the main draw).” 

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He delayed nevertheless the step when she was supposed to reach France and Germany.

Having managed to become Bignell’s mistress so easily, she knew that she could manage it, though she also knew that her history in London would be a liability. It was when Bignell took her on holiday to Paris that the solution occurred to her. She spoke French fluently, and she fell in love with the city. When he returned to England, she stayed behind – but not as plain Emma Crouch. Instead she rechristened herself as Cora Pearl. »

He expected maybe that I exclaim: « Ah, Paris« ! But, even if I had intended to say it, it was already too late. He had disappeared as Cinderella’s coach.

I had to wait for the next day to know the end of the story.

24 octobre 2013 Minuit Baden-Baden 24 October 2013 midnight

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Léonide Leblanc. Cliché Nadar. BNF Gallica.

Ce soir, Groddeck est arrivé très tard. Il a sorti d’une vieille sacoche en cuir patiné une boîte de métal fermée à clef. En l’ouvrant avec précaution, après avoir vérifié que tous les responsables de l’hôtel étaient suffisamment éloignés de notre table, il m’a glissé à l’oreille : « Rien que pour vous ».

Comme s’il ignorait que mon rôle est justement d’écrire jour par jour le récit de mes rencontres. J’ai appris, souvent à mes dépens, combien il sait cultiver les ambiguïtés, juste pour faire sortir des vérités cachées.

« Nous sommes entourés de spéculateurs. Cette ville les attire comme un véritable aimant. Malheureusement, ce ne sont plus aujourd’hui les élégants affairistes de la révolution industrielle. On a affaire à des hommes pressés qui parlent des langues slaves. Ils ont remplacé les hommes « courtois » du XIXème siècle ; mais le pouvoir de l’argent leur procure toujours la même sensation de toute puissance. Je suis certain que vous êtes peu informés des détours de cette courtoisie qui a conduit beaucoup d’entre-eux, outre leurs pertes au casino, à retrouver entre deux portes d’hôtels particuliers ou de villas secrètes des « Courtisanes » sans scrupules, mais non sans qualités ni bonnes manières. »

Je venais ainsi de comprendre quelle était la nature des photographies qu’il commençait de disposer sur la table de billard, délaissée à cette heure par les habitués. Le demi-monde faisait irruption dans la suite de nos conversations qui n’avaient touché pour l’instant à la sexualité que derrière le voile tendu de la psychanalyse. Ce soir, il avait eu envie d’entr’ouvrir le voile en question.

Première photographie : figurait ainsi en bonne place Léonide Leblanc. Une beauté un peu « épaisse » – qu’on me pardonne – mais sans doute « de son temps » et que Nadar a fort heureusement immortalisée pour que nous évitions de rêver sur des gravures improbables.

J’ai dû finir par arrêter mon visiteur nocturne dans son enthousiasme et surtout dans l’énumération des riches amants de la belle, en notant cependant au passage qu’il avait sorti une reproduction de l’appartement du Duc d’Aumale et que figurait également, entre deux « trésors » de sa collection, une peinture de Delacroix : « Femmes d’Alger dans leur appartement ». On comprendra aisément pourquoi je songeai immédiatement à relire Assia Djebar !

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Portrait de Marie Colombier par Edouard Manet

 

« Cette Léonide a fait sauter la banque » susurra Groddeck avec une sorte de gourmandise, lorsqu’il sortit une dernière gravure la représentant.

J’étais certain qu’elle n’avait pas fait sauter que la banque du casino, mais aussi d’autres comptes en banque plus privés, ainsi que des membres de gouvernements, par la grâce de secrets politiques qui, par son intermédiaire, ont transité sans obstacles d’un lit à l’autre, d’un pays à l’autre, pour le plus grand bien des diplomaties parallèles.

Rien que des scènes très convenables en somme sur ces clichés ! Des robes à la dernière mode, des bijoux sans égal, des intérieurs luxueux !

Mais je pense que Groddeck n’a pas compris pourquoi je me suis vite lassé de cette litanie soyeuse et dentellière… jusqu’à ce qu’il me réveille en sortant les deux dernières cartes de son jeu : Marie Duplessis, la fameuse Dame aux Camélias et l’inoubliable Cora Pearl.

C’est à ce moment-là que le pervers referma vite le coffret. « Nous en reparlerons demain ».

Pensait-il vraiment que j’allais garder ma quiétude d’esprit aussi longtemps ?

 

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Léonide Leblanc

This evening, Groddeck was very late. He brought out of an old leather skated saccoche a locked metal box. He opened it with cautious, and after having verified that all the persons in charge of the hotel were at a significative distance from our table, he whispered: « Only for you« . As if he ignored that my role is precisely to write day by day the narrative of my visits and encounters.

I learnt, sometimes at my expense, how much he knows how to live with ambiguities, just to help bring out the hidden truths.

« We are surrounded with speculators. This city attracts them as a real magnet. Unfortunately, they are not anymore today the elegant hucksters of the industrial revolution. These men are always in a hurry. They speak Slavic languages and replace the “courteous” men of the XIXth century; but the power of money still brings them smell the same sensation of power.

I am certain that you are partly informed about the bends of this courtesy which led a lot of them, besides their losses in the casino, find between two doors of mansions or secret villas some unscrupulous « Courtesans », splendid women – not without qualities nor good manners. »

Based on this last sentence, I just understood which was the nature of the photos which he began to put on the billiard table, abandoned at this hour by regular players. The half-world (demi-monde) penetrated suddenly our conversation, which had not touched for days at sexuality or only behind the tense veil of the psychoanalysis. This evening, he decided to half-open the veil.
The first photography presented at the right place Léonide Leblanc. A little bit “thick” beauty, if I may, but doubtless « Of her time » that Nadar fortunately imortalised so that we can avoided dreaming on improbable engravings.

I had to partly stop my night-visitor in his enthusiasm and especially in the enumeration of the rich lovers of the beautiful lady, by noting however among the images a reproduction of the apartment of Duke d’Aumale and by discovering between two « treasures » of his collection a painting of Delacroix: « Women of Algiers in their apartment« . One shall understand easily why I thought immediately to Assia Djebar!

Delacroix Alger« This Léonide broke the casino bank » whispered Groddeck with a kind of greed, when he brought out a last engraving representing her. I was certain that she had not only blown up the bank of the casino, but also more private bank accounts, as well as government’s secrets, by the favor of political pink links which, by her intermediary, passed without obstacles from a bed to the other, from a country to the other, for the biggest profit of parallel diplomacy.

Femmes d’Alger dans leur appartement. Eugène Delacroix.

 

Only very suitable scenes – as a matter of fact – in these images. They are pictured in the last fashion style, with priceless jewels and they live in luxurious environments!
But I think that Groddeck did not understood why I got rapidly tired of this silky and lace litany until he raised my interest anew by taking out the last two cards in his game: Marie Duplessis, famous Lady of the Camellias and the unforgettable Cora Pearl.
That is the right moment when the pervert guy closed the casket.

« We shall talk again about them tomorrow« .

Did he really think that I could wait quietly until next day?